"Yallah nemchou"! En avant on marche. Le soleil levant a depuis un moment déjà embrasé les hautes dunes et l'air se réchauffe. Il est huit heures et demie, le campement est levé. Les dromadaires ont été chargés selon une répartition inchangée depuis le début du circuit.

Les chameliers, le bâton en travers des épaules, guident la caravane et chantent une chanson qui parle d'amour et de désert. Celui-ci se déroule devant nous, toujours renouvelé : aux cordons de hautes dunes succèdent les cuvettes herbeuses où, parfois, des troupeaux de chamelles paissent les tiges tendres. A l'horizon les montagnes indiquent notre route. Tout à coup Mabrouk, le chamelier, s'arrête au pied d'une petite touffe d'herbes sèches. Il creuse en silence, dégage un sac plastique épais et à l'intérieur, ensablée, une poulie. Poulie ô combien précieuse à qui se dirige vers un puits! Lors d'un précédent circuit, Mabrouk l'avait prêtée à un chamelier et celui-ci,comme convenu, l'a déposée au pied de "la" touffe où Mabrouk devait la reprendre. Nous sommes stupéfaits d'admiration. Mabrouk rit. Quoi de plus naturel que de retrouver une poulie, à sa place, invisible, au pied d'une broussaille à des millions d'autres semblable... Merveilleuse simplicité des hommes du désert et surtout merveilleuse science du désert.

"Yallah nemchou".
En avant, on marche, régulièrement, au pas des placides dromadaires. Dès le premier jour on s'est senti bien, débarrassé des besoins factices, guéri du stress usant, corps et tête réconciliés. Ici les gestes quotidiens sont simples et chargés de sens : on aide à charger et décharger les dromadaires, on cherche les souches noueuses qui brûleront sous le couscous parfumé aux cinq épices. On apprête le repas et on regarde le pain sortir fumant des braises et du sable. "Bichfé" , bon appétit. Et comment... Pour peu qu'un nomade ami vienne partager repas et nouvelles, la fête est complète et les mains sont plus nombreuses à se chauffer au feu de l'amitié. Le repas terminé, le bidon d'eau devient l'instrument de musique idéal et la mélopée du désert monte vers les étoiles fourmillantes.

Avant de dormir, quelques instants de bonheurs simples reviennent :
- la trace fraîche des chacals, gazelles, lièvres et gerboises brodant le sable,
- le clapotement de l'eau sur les flancs du dromadaire,
- le chaud soleil de midi sur la peau,
- le parfum caramélisé du sucre tombé de la petite théière d'émail où le thé fort bouillonne,
- la sieste de l'aprés-midi à l'ombre d'une couverture tendue sur les herbes hautes,
- l'ombre de la caravane s'étirant sur les dunes au soleil couchant,
- et surtout ce sentiment de paix, de plénitude, acquise par quelques jours hors du temps, hors du monde et dont le bienfait va si longtemps se prolonger.

Mais l'heure n'est plus à penser "Rodoua", à demain. "Alarher", bonne nuit.
Demain, on prononcera à nouveau les mots qui rendent heureux. "Yallah nemchou", en avant, on marche.

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